Nous sommes le 3 ième vendredi de septembre 1960. Il pleut.C’est ma première année d’école primaire. J’ai 5 ans.La maîtresse Dubreuil qui, raconte-t-on a déjà arraché les oreilles de plusieurs petits élèves turbulents, est une institutrice dans la cinquantaine, célibataire, au long corps maigre, au visage austère voire acariâtre et portant de grosses lunettes noires. Le vendredi après-midi est consacré au dessin. Elle fait donc , en cette fin de journée, le tour de la classe pour surveiller les dessins des élèves. Arrivée à mon pupitre, elle s’aperçoit que je n’ai pas utilisé le cahier de dessins tel qu’elle nous l’avait ordonné au début du cours mais plutôt une feuille brouillon pour exécuter mon dessin. La raison est fort simple et enfantine. Je ne me croyais pas être assez bon pour utiliser le cahier ¨officiel¨ de dessins qui avait coûté cher à mes parents. Voyant que j’avais désobéi à sa consigne , elle s’empare alors de mon beau cahier à dessins et y inscrit en grosses lettres rouges sur trois pages doubles les mots ¨Tricheur-Menteur-Hypocrite¨. Elle me saisit ensuite par les cheveux et m'entraîne jusqu’à l’avant de la classe.Seuls mes pieds touchent le sol durant cet excès de rage inexcusable . Haut et fort , devant tous mes compagnons, elle proclame ensuite que c’est ce qui arrive à ceux qui n'écoutent pas. Sa main droite agrippe encore fermement mes cheveux quand elle s’écrie en tournant son visage de sorcière vers moi: `` Mais , tu ne pleures pas ? Et de sa main gauche, elle sort brusquement la longue règle qui se trouve sur la bordure du tableau noir derrière elle et avant qu’elle n’ait le temps de s’en servir contre moi, je comprends qu’il est temps de verser une larme pour ne pas écoper davantage. Devant mes pleurs, elle lâche soudainement prise, comprend peut-être qu’elle est allée trop loin et m’ordonne de retourner à mon pupitre.
Et la cloche sonne alors annonçant la fin de la journée scolaire!Tout le monde déguerpit. Seul Stéphane demeure avec moi après cet événement. Il parle peu, écoute mon excuse pour expliquer ma conduite et y acquiesce sans poser de questions. C’est ainsi qu’il devient ce jour-là mon meilleur ami et moi un enfant brisé par une blessure intérieure, grande et béante dont je me rappelle toujours après plus de 60 ans.
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