mercredi 3 janvier 2024

Fil de vie-Épisode 1- Plongeon dans l'au-delà.




Sherbrooke, juillet 1959. Dans les rues baignées de la lumière dorée d'un été prometteur, la vie s'épanouissait avec une énergie insouciante. C'est ici, dans un petit duplex sur la rue McManamy, que je me suis éveillé à la vie, les yeux grands ouverts, curieux de chaque nouveau jour.

Le logement que nous habitions débordait de vie. À l'intérieur, chaque coin respirait les souvenirs d'une famille qui grandissait ensemble dans l'amour et le tumulte. Ma mère, Thérèse, était le pilier de ce chaos organisé. Ses cheveux châtains, souvent noués en un chignon hâtif, s'échappaient en mèches rebelles alors qu'elle s'affairait entre les tâches ménagères et le soin de nous, ses cinq enfants.

Chaque matin, elle orchestrait notre routine avec une patience d'ange. Suzanne, la benjamine, gazouillait dans son berceau, ses petits poings serrés se balançant dans l'air. Monique et Louisette, séparées par seulement deux ans, étaient inséparables, bien qu'elles passaient la moitié de leur temps à se chamailler pour des broutilles. Germain, l'aîné, se voyait déjà en explorateur, traçant des cartes imaginaires de trésors cachés dans les recoins de notre jardin.

Et, puis, il y avait moi. À quatre ans et demi, je vivais dans un monde peuplé d'aventures et de rêves. Je me réfugiais souvent sous la table de la cuisine, transformant cet espace en une forteresse ou un vaisseau spatial, selon l'humeur du jour.

Papa, le seul pourvoyeur de la famille, travaillait sans relâche. Ses deux emplois le gardaient loin de la maison la plupart du temps, mais lorsqu'il rentrait, ses histoires du monde extérieur nous captivaient. Il avait le don de transformer les anecdotes les plus banales en épopées extraordinaires, et nous buvions ses paroles, émerveillés.

Après le petit-déjeuner, dans le tourbillon habituel de notre cuisine animée, j'ai échappé à la vigilance de maman. Avec la discrétion d'un chat, je me suis faufilé hors de la maison, le cœur battant d'anticipation. L'air déjà chaud du matin caressait ma peau, et les rayons du soleil jouaient à travers les feuilles des arbres, créant des ombres dansantes.

Sans m'en douter, c'était le début d'une journée qui resterait gravée dans ma mémoire à jamais, le commencement d'une aventure qui allait changer ma perception de la vie et de tout ce qui m'était cher.

Alors que je m'aventurais sur la rue McManamy, j'entendis un sifflement derrière la clôture de la maison voisine du duplex que nous habitions. C'était Yvan, mon ami qui allait devenir ce jour-là mon compagnon d'exploration. Nous avions le même âge. Sans un mot, le regard complice, nous nous sommes dirigés vers une partie du quartier que nous n'avions jamais explorée. Les maisons ici étaient plus grandes, leurs jardins plus somptueux. Nous ressemblions à des explorateurs en terre inconnue, chaque pas nous rapprochant d'une découverte qui allait marquer nos jeunes esprits.

La maison qui captura notre attention se dressait majestueusement au bout d'une allée ombragée sur la rue Cambrai. Elle était différente, plus grande et plus élégante que celles de notre rue familière. Son jardin était un véritable paradis terrestre, avec des fleurs aux couleurs éclatantes et des arbres qui murmuraient des secrets anciens. Nous nous sommes approchés, muets d'admiration, attirés par la beauté et le mystère de ce lieu.

En contournant la maison, nous avons découvert son secret le mieux gardé : une piscine creusée, étincelante sous le soleil de l'après-midi. Nous nous sommes arrêtés, bouche bée, devant cette merveille. L'eau, d'un bleu profond, invitait à la découverte, promettant fraîcheur et jeux. C'était un trésor, un miracle, un rêve devenu réalité.

Submergé par l'excitation et l'émerveillement, je m'approchai au bord de la piscine. L'eau miroitait, capturant les reflets du ciel et les nuages qui dansaient paresseusement au-dessus de nous. Yvan, à mes côtés, partageait mon étonnement. Ensemble, nous étions deux enfants au bord d'un monde nouveau, prêts à plonger dans l'inconnu.

Pourtant, ce plongeon allait être bien plus qu'un jeu d'enfants. Il marqua le début d'une aventure extraordinaire, m'emportant au-delà des frontières de ce monde, dans un voyage aux confins de la vie et de la mort, un périple qui allait transformer à jamais ma perception de l'existence.

« Regarde, Yvan !», ai-je chuchoté, le doigt pointé vers l'eau qui scintillait sous les rayons du soleil. Yvan, habituellement loquace et plein d'entrain, n'a pu que hocher la tête, les yeux écarquillés par l'émerveillement.

Nous nous sommes assis au bord, les jambes balançant au-dessus de l'eau. Le reflet de la lumière sur l'eau dansait sur nos visages, créant des motifs lumineux qui scintillaient dans nos yeux ébahis. Je me suis penché un peu plus pour toucher l'eau, fasciné par sa fraîcheur et sa clarté.

C'est alors que, dans un moment d'insouciance, j'ai perdu l'équilibre. Mon corps a basculé en avant et, avant même que je ne puisse réaliser ce qui m'arrivait, je me suis retrouvé dans l'eau qui m'a enveloppé, me tirant vers le fond avec une force irrésistible.

Paniqué, je me suis débattu, tentant désespérément de remonter à la surface. Mes bras et mes jambes agitaient l'eau dans un effort frénétique pour trouver de l'air. Je parvenais à peine à sortir la tête de l'eau avant de replonger dans les profondeurs tièdes et silencieuses.

Yvan, resté sur le bord, me regardait avec des yeux ronds, paralysé par la peur et l'incertitude. Au lieu de me tendre la main pour m'aider à sortir de ce piège infernal, il me repoussait avec ses pieds alors que je tentais de m'y agripper, ce qui lui a peut-être sauvé la vie. Je tentais de crier, mais seul un murmure inaudible s'échappait de mes lèvres.

Pendant que je sombrais pour la troisième fois, une étrange tranquillité m'envahit. Le chaos de l'eau se transforma en un calme apaisant. La peur et la panique cédèrent la place à une sérénité inattendue. Mes battements de cœur ralentirent, et un sentiment de détachement me submergea.

Dans cet état de quiétude, mon esprit commença à défiler les moments de ma courte vie. Comme des images projetées sur un écran, je voyais les scènes de ma vie se succéder : les câlins maternels, les jeux avec mes frères et sœurs, les aventures avec Yvan, et les soirées passées à écouter les histoires de mon père. Chaque souvenir brillait d'une lumière douce, enveloppant mon esprit dans une couverture de nostalgie et d'amour.

Je flottais dans ce monde de souvenirs, loin de la réalité de ma lutte pour la survie. C'était comme si j'avais été transporté dans un autre lieu, un espace où le temps et l'espace n'avaient plus de sens, où seul comptait le défilé de ma vie.

Alors que je m'abandonnais à cette expérience, une lumière éclatante apparut. Elle grandit, englobant tout mon champ de vision, m'invitant à me laisser emporter. Et, dans cette lumière, une silhouette se dessina. Une figure à la fois étrangère et familière, empreinte d'une douceur et d'une bienveillance infinies.

C'était une présence réconfortante, comme un guide attendant de me montrer le chemin. Mais, ce chemin, était-il celui du retour à la vie ou de la découverte d'un monde inconnu ?

La silhouette s'avança vers moi, ses contours devenant plus nets à mesure qu'elle se rapprochait. C'était une figure d'une beauté indescriptible, enveloppée d'une lumière douce et apaisante. Ses yeux, empreints d'une sagesse infinie, me regardaient avec une bienveillance qui transcendait le temps et l'espace. Dans ce regard, je trouvais un réconfort incommensurable, comme si j'étais en présence d'un être ancestral, un gardien des âmes perdues.

« Ne crains rien », dit la silhouette d'une voix qui semblait directement résonner dans mon esprit. « Tu es en sécurité ici. C'est un lieu de passage, un pont entre les mondes. »

Des questions se bousculaient dans ma tête, mais aucun mot ne parvenait à franchir mes lèvres. La figure me sourit doucement, apaisant mes craintes et mes interrogations.

« Tu as vu ta vie, n'est-ce pas ?», continua-t-elle. « Chaque moment que tu as vécu, chaque sourire, chaque larme. C'est le reflet de ton âme, l'essence de ton être. »

Je hochai la tête, encore sous le choc de cette révélation. La vie que j'avais vécue jusqu'alors m'apparaissait maintenant sous un nouveau jour, chaque moment revêtu d'une importance et d'une beauté que je n'avais jamais saisie auparavant.

« Maintenant, tu dois choisir," dit la silhouette. Sa voix était douce, mais portait un poids immense. « Veux-tu revenir à la vie que tu as laissée ou poursuivre vers ce qui t'attend ici ? »

La question me frappa de plein fouet. Revenir à la vie ? L'idée de revoir ma famille, de sentir de nouveau la chaleur du soleil sur ma peau, de rire et de jouer avec mes frères et sœurs, tout cela m'attirait irrésistiblement. Mais, en même temps, la paix et la sérénité de cet endroit étaient envoûtantes. J'étais déchiré entre deux mondes, chacun me promettant quelque chose de précieux.

Ma pensée se tourna vers ma mère, son visage inquiet, ses bras toujours ouverts pour me consoler, ses histoires du soir qui m'emportaient dans des mondes de rêves. L'amour qu'elle me portait était un lien puissant, un ancrage à la vie.

Avec une clarté soudaine, ma décision fut prise. « Je veux revenir, car ma mère aurait trop de chagrin si je ne revenais pas », murmurais-je.

La silhouette me regarda avec une expression empreinte de compréhension et de bienveillance. « Alors, retourne » dit-elle. « Retourne et vis pleinement chaque jour, avec amour et curiosité. Ta vie est un cadeau précieux, et chaque instant est une chance de tisser le tissu de ton existence. »

Une lumière éclatante m'entoura alors, et je sentis une force douce me soulever. Les eaux brouillées et profondes s'évanouirent, laissant place à la lumière du jour, au son du vent dans les arbres et à la chaleur chaude de juillet caressant mon visage. J'ouvris les yeux pour me retrouver seul au bord de la piscine, allongé sur le carrelage trop chaud, le ciel azuré s'étendant au-dessus de moi.

Je savais que j'avais été ramené à la vie non pour mon propre bénéfice, mais parce que ma réponse avait reflété une préoccupation authentique pour un autre être cher. Ce savoir m'imprégna d'une nouvelle sagesse et d'une gratitude profonde pour la vie et les liens qui nous unissent.

Yvan avait disparu, probablement emporté par la peur et l'incapacité d'aider. Je me redressai lentement, chaque mouvement imprégné de la nouvelle conscience que j'avais acquise de l'autre côté. Le monde autour de moi semblait différent, comme si j'avais traversé un voile et que je voyais maintenant la vie avec une clarté renouvelée. Chaque couleur était plus vive, chaque son plus clair, chaque sensation plus tangible.

Tremblant, mais déterminé, je me relevai. Mes vêtements étaient trempés et collaient à ma peau, un rappel frissonnant de l'épreuve que je venais de traverser. Je regardai autour de moi, absorbant la beauté et la fragilité de tout ce qui m'entourait. J'avais été au seuil d'un autre monde, mais j'étais revenu. Cette expérience était désormais gravée dans mon âme, un souvenir indélébile de mon voyage à la frontière de la vie et de la mort.

Avec une appréciation renouvelée pour chaque instant, je sortis de la cour de la maison mystérieuse. Le chemin du retour était le même, mais je le parcourais avec une perspective différente. La vie m'attendait, pleine de promesses et d'opportunités, et j'étais résolu à la saisir pleinement, à chérir chaque souffle, chaque pas.

Je marchai lentement vers la maison, mes pensées tournées vers ma famille, ma mère. Comment pourrais-je expliquer mon absence ? Que dirais-je pour justifier mes vêtements mouillés et mon apparence échevelée ? Mais, ces inquiétudes étaient secondaires. L'essentiel était que j'étais en vie, transformé par une expérience qui avait élargi mon horizon d'enfant bien au-delà des limites de ma compréhension.

En m'approchant de la maison, je sentais un mélange complexe d'émotions. Le soulagement de retrouver la sécurité et l'amour familial était tempéré par la crainte d'une réprimande pour mon escapade imprudente. Mon cœur battait fort dans ma poitrine, non seulement à cause de l'épreuve physique que j'avais endurée, mais aussi à cause du conflit intérieur qui m'agitait.

Arrivé à la maison, au lieu d'entrer, je me suis glissé discrètement sous la galerie. Caché dans cet espace confiné, je pouvais entendre les sons de la vie familiale à travers les planches en bois. Le bruit des casseroles, les voix de mes frères et sœurs, et surtout, le ton de plus en plus inquiet de ma mère. Elle appelait mon nom, sa voix trahissant un mélange d'inquiétude et de chagrin grandissant.

Finalement, quand il devint évident que ma disparition causait une véritable angoisse, je décidai qu'il était temps de sortir de ma cachette. Je rampai hors de sous la galerie, les vêtements tachés et le cœur lourd.

« Je suis là, maman," dis-je d'une voix timide en entrant dans la maison par la porte arrière.

Ma mère se retourna brusquement, ses yeux s'élargissant d'abord de surprise, puis se remplissant de larmes. En un instant, elle fut à mes côtés, me serrant dans ses bras avec une force qui exprimait à la fois le soulagement et l'amour.

« Où étais-tu passé ? Nous étions si inquiets !», s'exclama-t-elle, sa voix tremblante.

Je me blottis dans ses bras, sentant une vague de soulagement me submerger. « Je suis désolé, maman. J'étais parti explorer et… je me suis retrouvé dans une piscine," expliquai-je, omettant les détails les plus extraordinaires de mon aventure.

Elle me serra encore plus fort, puis me repoussa légèrement pour me regarder dans les yeux. « Ne refais jamais une chose pareille. Tu aurais pu te noyer, tu comprends ? »

Je hochai la tête, les yeux baissés. « Je comprends, maman. Je suis désolé. »

Le reste de la soirée se déroula dans un mélange de joie et de réprimandes légères. Ma mère me prépara un bain chaud pendant que je racontais mon aventure, en omettant les détails les plus mystiques. Je me sentais épuisé, mais en même temps, étrangement éveillé à un nouveau sens de la vie.

Ce soir-là, alors que je me glissais sous les couvertures de mon lit, les événements de la journée tournèrent dans mon esprit. J'avais traversé quelque chose d'extraordinaire, quelque chose qui avait changé ma perception du monde. J'étais revenu avec une nouvelle appréciation pour la vie, pour ma famille, pour chaque moment que je partageais avec eux.

Dans l'obscurité de ma chambre, j'ai fait une promesse silencieuse de chérir ces moments, de vivre pleinement et d'apprécier les petits miracles de chaque jour. J'avais mérité une seconde chance, et je comptais bien la saisir pleinement.

 

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